mardi 23 février 2010

Je sape donc je suis (épisode 1)


Rouge, jaune, bleu électrique, vert, rarement noir et parfois marron, rayures verticales ou carreaux écossais, soyez méfiants, jamais plus de trois couleurs à la fois. La veste ajustée en demi-dakar, le cigare en accessoire obligatoire, les sapeurs défilent et mettent la rue à leurs pas bien chaussés. Qui ? Les sapeurs ! Vous les avez déjà aperçus du côté de Château-Rouge, dans le métro, à exhiber leur dernière pièce. Les sapeurs s’habillent classe et c’est rien de le dire. Loin d’être du folklore pour faire rire les gens qui se cachent derrière des fringues grises anthracite, noires ou bleues marine, la Sape est un vrai phénomène culturel et sociologique, la veste jacquard en étendard, et se parle avec délectation. Ces jolis dandys en multicolore font partie de la Sape, la Société des ambianceurs et personnes élégantes, un mouvement venu du Congo jusque sur les boulevards parisiens.

La Sape remonte à plusieurs décennies lors des premiers passages à Paris des Congolais qui sont revenus à Brazzaville habillés à l’occidental et ont montré leurs habits dans la rue. A l’occidental mais à un détail près : les pièces ramenées sont siglées Kenzo, Ferragamo, Hugo Boss ou Smalto. Quant aux chaussures, direction le saint des saints, Weston. « La » Chaussure certifiée par le mouvement. Les « Parisiens » reviennent au Congo avec les nouvelles pièces, en ramènent à ceux qui ne font pas le voyage, puis vient le temps des défilés dans la rue, « qui bloquent parfois les rues au point que tout le monde ne peut que les regarder, comme un spectacle par l’habit et les postures prises des sapeurs », raconte Baudouin Maounda, jeune photographe Congolais très prisé qui à consacré une série à la Sape (exposé en ce moment au musée Dapper, Paris 16e).

En effet la Sape ce n’est pas qu’une histoire de fringue. La Sape est une façon d’être, de se tenir, avec une moue un peu hautaine et le regard qui va avec pour montrer à l’autre que la chose est sérieuse, que l’on est le meilleur sapeur de la ville, que l’on respecte à merveille la fameuse règle de trois, celle des trois couleurs. Les codes de l’habillement sont précis : Dakar pour un costume complet, demi-Dakar pour une veste et pantalon non-assortis, la ceinture et les chaussures assorties, le constitutionnel… L’affaire n’est pas si facile et n’est pas sapeur qui veut. Les pro de la Sape vous diront qu’il faut être Congolais, côté Brazzaville et qu’à Kinshasa, c’est déjà plus ça, quant aux autres nationalités de pales copieurs. « Brazzaville, c’est le berceau, là-bas les gens naissent avec la Sape dans les veines. Quant un garçon touche sa première paie, il s’achète sa première pièce ou sa première paire de Weston. Là-bas tout le mode est sapeur jusqu’au président de la République. En plus au Congo c’est plus difficile d’être un sapeur qu’à Paris parce qu’ici on trouve les marques, alors là-bas on s’entre-aide, y’a une forme d’assistanat du vêtement », explique Ben Mokasha restaurateur et sapeur-sapelogue à Paris, en demi-dakar et pantalon jaune sur la photo). Parce que comme dans une religion, la Sape a ses chefs, les sapelogues, pour sapelogie, lorsque la première devient un art régit par dix commandements, une culture, un art de vivre.

Un art de vivre qui se retrouve à Paris depuis les années 1980 à République à la Maison des étudiants Congolais qui ont remonté le boulevard jusqu’à Château-Rouge. Les sapeurs y sont chez eux, se font remarquer, ils se montrent et prennent la pose comme dans un défilé. Certains poussent la porte des adresses phares du quartier : La Sapologie, le restaurant du sapelogue Ben Mokasha, qui sert un menu « trois pièces » à ces clients, dans quelques bars bien connus ou chez Connivences. Tenu par Jocelyn Armel, dit « Le Bachelor », ce magasin propose des pièces bien taillées à la mode italienne et colorées parfaites pour tout sapeur qui se respecte. Connivences est la première marque créée par un Congolais pour les sapeurs, pour faire fonctionner l’économie de la communauté et pas toujours les marques européennes. Le Bachelor (en photo) mériterait une chronique à lui tout seul, le personnage est haut en couleur, élégant et beau parleur, sans aucune ironie. D’une gentillesse à toute épreuve, le fringuant créateur connait son sujet sur le bout des doigts et sa marque met « les couleurs en exergue » pour une population qui ne se retrouvait pas dans les couleurs sombres des marques occidentales. Justement ces couleurs, Bachelor ? « Elles vont avec notre peau, notre état d’esprit. Si tu es toujours en noir, on ne te remarque pas. » Alors fidèles du Fauteuil, suivez le conseil du sapeur et allez faire un tour chez Connivences. A coup sur vous tomberez sous le charme du Bachelor et en ressortirez avec de quoi vous faire remarquer !

Connivences
12 rue de Panama et 22 rue Caulaincourt
Paris 18e
Restaurant la Sapelogie
56 rue de Clignancourt
Paris 18e

Et pour plus de Sape: http://www.sape-bz.com/

La Sape inaugure les séries de Fauteuil Club Sandwich. Vous retrouverez mardi prochain l’épisode 2 de « Je Sape donc je suis », avec l’interview de Baudouin Mouanda, jeune et talentueux photographe Congolais.

Retrouvez l'épisode 2, le photographe Baudouin Mouanda

Retrouvez l'épisode 3, Black bazar d'Alain Mabanckou

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